Actualités de la révolution

L’État et les révolutionnaires

– Tentative de mise à jour –

samedi 3 janvier 2009 par Antoine Larrache

Dans la conception classique des marxistes révolutionnaires, la révolution, c’est la destruction de l’État bourgeois et son remplacement par un État ouvrier, et c’est la remise en cause de la propriété privée des moyens de production et son remplacement par une propriété collective, celle des travailleurs. Les trotskistes ont même une panoplie « d’hypothèses stratégiques » : guerre révolutionnaire prolongée, grève générale insurrectionnelle… La difficulté est maintenant de relier ces théories, ces modèles à la pratique quotidienne. Au centre de l’enjeu, l’État.

Qu’est-ce que l’État aujourd’hui ? La réponse est brouillée par deux éléments. Le premier est l’offensive idéologique libérale, déclarant son opposition à l’État, sa volonté de le réduire au minimum. Une offensive idéologique qui n’est pas d’ailleurs totalement liée à la réalité. Le second est le résultat de cinquante ans de compromis entre les classes, d’intégration des appareils sociaux-démocrates et staliniens à l’État.

Les libéraux clament leur volonté de faire disparaître l’État. Des secteurs entiers y croient réellement. Mais si l’affrontement entre Mc Cain et Obama prouve une chose, c’est que ceux qui décident, ceux qui ont financé la campagne Obama avec des centaines de millions de dollars, ont une vision plus équilibrée. Obama a été élu pour remettre de l’ordre dans l’économie. En France, également, Sarkozy ne souhaite pas tout privatiser et, pour lui, le rôle de l’État n’est pas minime (en particulier le rôle de la police, de la justice, etc.). On a tendance à dire que la bourgeoisie libérale souhaite réduire l’État à ses fonctions régaliennes (armée, police, justice), comme si l’État allait privatiser tout le reste. Emmanuelle Mignon, directrice du cabinet du président Sarkozy, aurait d’ailleurs déclaré au Conseil d’État « j’ai toujours été conservatrice, j’aime l’ordre. Je crois à l’initiative individuelle, à l’effort personnel et, en matière économique, à la main invisible du marché. Par exemple, je suis pour une privatisation totale de l’éducation nationale ». Mais la réalité est sans doute plus simple : la mutation s’effectue dans chacune des sphères de la société. Pour reprendre l’exemple de l’Éducation nationale, la politique actuelle vise à insérer une grande quantité de critères privés dans l’école publique : bourses aux mérites, individualisation de la difficulté scolaire, individualisation des diplômes, statuts de droit privé pour les personnels. La concurrence est développée à niveau phénoménal : par les réductions de postes, par l’affichage des résultats des établissements, la concurrence entre le public et le privé, l’évaluation des enseignants. On a donc une école totalement mise au service du patronat et de ses critères. Dans les hôpitaux et les autres services publics, l’objectif est la privatisation complète des services rentables, les services publics conservant tout ce qui concerne la charité minimale, mais au prix d’immenses files d’attente. La rémunération à l’acte pousse à une surconsommation de soins médicaux et crée des « usines à soins » [1] pour les actes lourds peu rentables.

Pendant ce temps, Sarozy joue le rôle, presque aussi bien que Chirac, de super représentant de commerce, pour vendre les produits des grandes entreprises françaises à travers le monde. À cela, ajoutons la réorganisation de la justice par Rachida Dati, qui vise à rendre plus difficile le recours à la justice pour les catégories populaires et à faire des économies. Et, pour boucler la boucle, il y a l’augmentation du budget militaire de 5,4 % en 2009, avec une réduction des effectifs, mais une augmentation des dépenses d’équipement de 10 %.

L’État est donc loin de disparaître, mais il introduit la concurrence dans toutes ses sphères et renforce effectivement ses fonctions régaliennes.

 Cinquante ans de compromis entre les classes

La réponse du mouvement ouvrier à cette offensive est brouillée. Elle est brouillée par l’ampleur de l’offensive : sur quel terrain répondre ? Quelles revendications mettre en avant ? Pour les services publics, depuis quelques années, il apparaît ridicule de demander un retour à une école égalitaire ou des services publics au service de la population, alors que cela fait bien longtemps qu’ils ne le sont pas. Concernant la crise bancaire, la revendication de nationalisation des banques apparaît légitime dans le désordre actuel, mais il reste à expliciter quelle est la différence avec ce que proposent Obama et le PS ?

Mais la réponse est surtout brouillée par des années d’imprécisions sur la question, qui sont la conséquence du compromis entre les classes mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Avoir obtenu de multiples et solides fonctions sociales de la part de l’appareil d’État a constitué un progrès réel pour les travailleurs, mais cela a créé de nombreuses illusions (des illusions aujourd’hui d’autant plus décalées que la Sécurité sociale par exemple était conçue au départ comme indépendante de l’État, puisqu’elle était gérée par les organisations de salariés, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui). Les staliniens, les sociaux-démocrates et la faiblesse des mouvements de masse des travailleurs ont propagé l’illusion que les services publics seraient des espaces de socialisme à l’intérieur du capitalisme, et que l’État pouvait avoir des fonctions de défense de nos intérêts de classe, par le biais de la justice, du droit du travail, de la démocratie, des services publics.

Ciblons les espaces obscurcis : les instruments régaliens (police, armée, justice), les services publics, la démocratie. Tous ces instruments incluent des éléments de justice, d’égalité entre les citoyens : la démocratie n’est pas la dictature, elle intègre une égalité formelle et donc en partie heureusement réelle, des protections. Si ce n’était pas le cas, le système serait totalement instable, inacceptable pour la majorité de la population. Mais le rôle des révolutionnaires, pour déterminer des positions solides et équilibrées, justes sur le fond et compréhensibles largement, est d’analyser la substance de classe de ces structures.

Pour la police et l’armée, la violence de celles-ci actuellement fait tourner court le débat : elles sont bien un instrument de défense des intérêts capitalistes. Mais nous devons parfois faire face à des illusions selon lesquelles on pourrait réformer, contrôler ces instances. La justice possède encore des fonctions de régulations, de défense des droits individuels, mais elle repose sur la Constitution, sur les lois, qui garantissent avant toute chose la propriété privée des moyens de production, la concurrence, et s’appuie sur les déclarations des policiers, assermentés, dont la parole est impossible à remettre en cause.

Les services publics sont, bien entendu, un point d’appui pour les travailleurs, car ils permettent de vivre mieux et montrent que l’organisation planifiée de la production est bien meilleure que la concurrence. Cependant, chacun est imprégné de contradictions. Par exemple, l’École est le plus grand outil de sélection sociale et d’encadrement de la jeunesse : dès le plus jeune âge, elle inculque la discipline, des repères sociaux normatifs, et sélectionne entre travail intellectuel et travail manuel, tandis que les diplômes sont autant des garanties sur le marché du travail que la mesure de la casse de l’unité des travailleurs en différentes catégories. Les hôpitaux publics, les transports en commun sont des cadres utiles, mais leur organisation et leur hiérarchie sont sans doute à l’opposé de notre conception de la société. Nul doute que dans une société autogérée, il faudrait revoir de fond en comble tout cela, casser toutes les séparations entre travail manuel et travail intellectuel, entre formation et travail, trouver une interaction pour les décisions entre les travailleurs de ces secteurs et leurs usagers sans confisquer le pouvoir des travailleurs.

La démocratie bourgeoise elle-même est un haut lieu de confiscation du pouvoir. Le suffrage universel, la complication de la démocratie par la multiplicité des cadres de décisions rendent, dans la société actuelle, inaccessible pour les travailleurs les lieux de décisions réels. « Mille barrières s’opposent à la participation des masses travailleuses au parlement bourgeois (lequel dans une démocratie bourgeoise ne résout jamais les questions majeures ; celles-ci sont tranchées par la bourse et par les banques) […] Les soviets sont l’organisation directe des masses travailleuses et exploitées, à qui elle facilite la possibilité d’organiser elles-mêmes l’État et de la gouverner par tous les moyens » [2]. Lorsqu’on dit que la démocratie ne doit pas s’arrêter aux portes des entreprises, cela ne doit pas être compris comme une extension de la démocratie bourgeoisie aux entreprises. Car alors le danger est grand de voir les comités d’entreprise, les cadres de congestion avec le patronat, comme des points d’appui, des étapes vers la démocratie complète.

 Quelles pistes pour une vision précise

Il serait bien prétentieux de propose une vision complète du problème. Essayons de fixer quelques pistes sur la stratégie pour détruire l’État bourgeois et constituer un outil « au service des travailleurs ».

  • Un outil « au service des travailleurs »

Cela signifie que cet outil doit permettre leur émancipation et l’émancipation de l’ensemble des peuples. Il doit donc être capable de combattre ses ennemis de classe. Il doit être aussi un instrument de l’émancipation politique, sociale et culturelle. Cet outil, cette forme d’État doit pouvoir disparaître, dépérir. Il doit donc être non seulement « au service des travailleurs », mais leur émanation. On peut imaginer que d’autres classes que le prolétariat soient associées d’une façon ou d’une autre au pouvoir, mais, pour garantir la modification des rapports de propriété, c’est celui-ci qui doit être dominant.

« La Commune substitue des organismes où la liberté d’opinion et de discussion ne dégénère pas en duperie, car les parlementaires doivent travailler eux-mêmes, appliquer eux-mêmes leurs lois, en vérifier eux-mêmes les effets, en répondre eux-mêmes devant les électeurs » [3]. « La Commune devrait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois » [4].

La destruction de tout ce qui peut l’être

Les survivances de l’État tsariste ont été une des principales difficultés auxquelles ont été confrontés les révolutionnaires russes. Lénine et surtout Trotsky dénoncent l’influence de l’appareil d’État tsariste, leur influence sur l’État ouvrier en construction et son rôle dans le développement de la bureaucratie. L’État est un élément de stabilisation ou de la société. Si nous voulons le faire dépérir et disparaître, il faudra dès le début et de plus en plus détruire tout ce qui peut l’être sans empêcher un fonctionnement social élémentaire. Aussi tôt que possible, il faut détruire les services publics, la justice, l’École telle qu’elles existent dans la société capitaliste. Sans parler de la police et de l’armée. Tout cela doit être reconstruit sur la base de l’auto-organisation et de la domination politique du prolétariat.

Le double pouvoir

C’est le cœur du processus révolutionnaire. On peut disserter sur la forme de remise en cause de l’État et des formes politiques bourgeoises. On peut aussi proposer des formes démocratiques révolutionnaires. Mais la réalité du problème, de la rupture révolutionnaire, c’est la remise en cause, par des évènements politiques se déroulant sur une courte durée, du pouvoir de la classe bourgeoise par celui de la classe des travailleurs. C’est donc la remise en cause de la légitimité d’un pouvoir par un autre. Pour les marxistes révolutionnaires, l’objectif est que dans ce pouvoir, le prolétariat domine, et que ce pouvoir remette en cause le plus de choses possible dans la société bourgeoise. Pour que ces éléments soient réunis, la prise du pouvoir doit être l’aboutissement d’une mobilisation de masse d’immenses sphères de la société, sous la direction de la classe ouvrière. En gros, d’une grève générale dirigée par des secteurs de la classe ouvrière, mais qui entraîne tous les secteurs de la société, pose le problème de l’organisation de celle-ci dans de multiples sphères. Les autres problèmes suivront. En particulier, les problèmes de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat doivent sans doute être replacés dans ce cadre : lors de la confrontation révolutionnaire, un nouveau pouvoir se met en place, autour des mobilisations de masse des travailleurs. Ceux qui s’associent à cette légitimité contre le pouvoir bourgeois constitueront sans doute la nouvelle forme de « l’État ouvrier ».

 Reposer le problème avec les moyens qui sont les nôtres

Nous ne pouvons pas aujourd’hui résoudre l’ensemble des questions liées au processus révolutionnaire. En effet, certains points ne sont pas à la portée des masses, ni des militants, parce que nous ne sommes pas (encore) capables de leur donner une retranscription pratique, une démonstration, un sens par rapport au monde tel qu’il est. Le problème est donc de reposer un certain nombre de problèmes par rapport à l’actualité, à l’expérience de masse.

Nous intervenons dans un contexte particulier, celui de la crise économique, de l’intensification des conflits entre les classes, de l’intégration croissante des directions réformistes à l’appareil d’État, à la logique du système. Dans ce contexte, avec les mobilisations qui vont avec, nous pouvons faire un certain nombre de démonstrations.

  •  La lutte des classes : les mobilisations des travailleurs redonnent une visibilité à la classe ouvrière, au prolétariat. La crise économique et son cortège de solutions bourgeoisies sont susceptibles de réactiver les clivages de classes. À nous d’expliciter que la situation actuelle est la démonstration que l’histoire est faite par les conflits entre les classes (les ouvriers de chez Renault, la bourgeoisie financière et industrielle, etc.).
  •  Reconstruire une stratégie révolutionnaire : supprimer le pouvoir bourgeois, imposer le pouvoir des travailleurs passe une période de double pouvoir résolue par une rupture révolutionnaire. Cette question du pouvoir, de multiples exemples démontrent que, dans les pays capitalistes avancés, c’est la grève générale qui la pose, car c’est elle qui est le plus à même de déstabiliser l’ordre existant.
  •  Reconstruire un Programme de transition : pour lier les luttes à notre projet de société et à la question du pouvoir, il faut être capable de détailler un programme de mesures qui remettent en cause la logique capitaliste. Ces mesures, quelle que soit la façon dont on les appelle, doivent être des outils pour les militants dans les mobilisations et les discussions quotidiennes.
  •  Le rôle du parti : un parti pour la révolution, c’est avant tout un parti démocratique qui préfigure partiellement la société que nous voulons, et un parti pour les « périodes des brusques retournements », un parti capable d’agir vite pour les moments décisifs du processus révolutionnaire.

[1] Frédéric Bizard, Pr Émile Papiernik, Le Figaro, 22 août 2008.

[2] Lénine, L’État et la révolution.

[3] Lénine, L’État et la révolution.

[4] Marx.


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