Actualités de la révolution

Education nationale

– Quelques perspectives –

samedi 3 janvier 2009 par Raphaël Greggan

« Je voudrais que cette année, maintenant que nous avons fait la réforme du primaire et que celle du lycée commence à se dessiner, nous nous occupions des enseignants », Xavier Darcos, 25 août 2008

Chaque année apporte son lot de réformes de l’éducation nationale, comme l’automne amène les feuilles mortes. Le sentiment général dominant est de dire, du point de vue des enseignants, que le gouvernement revoit à la baisse le niveau et le contenu des enseignements et cherche à détruire notre statut, et du point de vu du reste de la population que l’éducation nationale (enseignants, lycéens, étudiants…) est en grève tous les ans depuis 2003…

La réalité est plus complexe. La droite procède à des modifications de l’éducation nationale, de l’école maternelle à l’Université, petit bout par petit bout. Ces changements vont remodeler complètement l’école et auront des conséquences assez graves sur la classe ouvrière dans son ensemble. C’est contre ce remodelage que les enseignants et les lycéens se battent ces dernières années : contre le LMD à l’Université en 2003 ; contre la loi Fillon en 2005 ; contre la loi sur l’autonomie des universités en 2006 ; contre les nouveaux programmes et la semaine de 4 jours à l’école primaire ; contre le bac pro en 3 ans et les suppressions de postes en 2007-2008.

 Logique globale des réformes

L’accélération des réformes de l’éducation nationale date de 2005, avec la loi Fillon « d’orientation et de programmation pour l’avenir de l’école ». Et si la droite arrive relativement bien à faire passer ses réformes, c’est grâce à la complicité du PS, qui se retrouve sur un certain nombre de points d’accord avec la droite (tel que le « dégraissage du mammouth » de Claude Allègre ou l’autonomie des universités de Ségolène Royal). L’élément essentiel de la loi Fillon est de mettre au centre de l’école les questions des savoirs, alors que la loi Jospin de 1989 mettait l’élève au centre de l’école. Ce n’est pas juste un changement sémantique. Les questions posées à l’École sont : quels savoirs ? Pour qui ? À quelle fin ? Avec quels moyens ? La loi Fillon répondait aux deux premières questions en imposant à tous un socle minimum (lire, écrire, compter, cliquer). Les autres savoirs seraient uniquement pour ceux qui en auraient les capacités. À la troisième question, cette loi mettait en place une « orientation active » dès le plus jeune âge (avec, par exemple, des stages professionnels dès la classe de 3e). À la question des moyens, Fillon répondait par « l’autonomie des établissements » (l’obligation de rechercher des financements privés) et la diminution du nombre de fonctionnaires.

Les différences au sein de l’école existent déjà. L’école est un cadre de reproduction des classes sociales et les changements intervenus ces dernières années correspondent à des besoins du patronat en terme de formation. Aujourd’hui, le besoin global n’est plus d’une main-d’œuvre qualifiée et polyvalente. C’est pour cela que le gouvernement a abandonné l’objectif de 80 % d’une classe d’âge au bac, pour se concentrer sur 50 % d’une classe d’âge en licence. Le patronat a besoin d’une main-d’œuvre spécialisée, qui arrive sur un poste en étant déjà formée, c’est la raison de la multiplication des stages et des diplômes professionnels : faire en sorte que ce soit l’école qui paye les coûts de formation, plutôt que l’entreprise elle-même. D’ailleurs, la volonté du gouvernement est que les établissements (de l’école primaire à l’Université) soient gérés comme des entreprises privées : qu’ils gèrent eux-mêmes leurs ressources ; qu’ils soient en concurrence et soumis à l’obligation de réussite. Ce qui permettrait que les jeunes acceptent dès le plus jeune âge la domination de l’entreprise. Enfin, pour diminuer les futurs salaires des élèves, on assiste à une déréglementation et une déqualification des diplômes (remplacement des BEP par des CAP, les grades LMD ne sont pas dans les conventions collectives, par exemple).

Cependant, toutes les réformes de la droite ne correspondent pas à des besoins du patronat en terme de formation de la main-d’oeuvre. Une partie des changements est idéologique. Par exemple, en finir avec la scolarisation dès 3 ans et à terme supprimer les deux premières années de l’école maternelle correspond à deux préoccupations. Il y a des raisons d’économies (suppressions de postes, remplacement de la maternelle, gratuite, par des jardins d’éveils payants), mais il y a aussi l’idée réactionnaire que c’est à la mère de s’occuper de son enfant jusqu’à 6 ans. En gros, c’est l’idée que la prise en charge des enfants en bas âge par la société n’est pas rentable, qu’il vaut mieux renvoyer la responsabilité à la famille.

Certains choix pour l’école correspondent à des orientations plus globales. Sarkozy, à son arrivée à la présidence, a fait de nombreux cadeaux au patronat. Il cherche maintenant à faire des économies par tous les moyens. C’est pour cela qu’il ne remplace pas un enseignant qui par à la retraite sur deux. C’est pour cela que les salaires des fonctionnaires augmentent moins que l’inflation. Dernier élément des réformes dans l’éducation, il s’agit de casser la résistance du milieu enseignant (et des jeunes). Les procès après les manifestations se sont multipliés depuis la mobilisation contre la loi Fillon de 2005, touchant les jeunes et les enseignants (tels Rodolphe Juge ou Sami Benmeziane). Il faut ajouter à cela la mise en place du service minimum d’accueil (SMA) dans les écoles, qui cherche à rendre plus difficiles les grèves.

 Des enseignements de la mobilisation de 2007-2008

Avec les attaques en cours (réforme du lycée ; soutien individualisé dans le primaire), il est vraisemblable qu’une nouvelle mobilisation voie le jour cette année. Il faut éviter les mêmes erreurs que l’année dernière et amplifier ses côtés positifs de la mobilisation.

Un premier élément pour une mobilisation large réside dans une plate-forme claire qui permet à tous de lutter. C’est sans doute un des grands manques de l’année dernière : pas de plate-forme claire, comprise largement et en même temps unifiante (instit’, profs et jeunes). Cela dit, ce sont avant tout les suppressions massives de postes (11 200 postes en 2008) qui ont entraîné les enseignants et les lycéens dans la lutte l’année dernière. Cette année, il est prévu une suppression de 13 000 postes, dont 6 000 dans le premier degré, alors que le nombre d’enseignants précaires ne cesse d’augmenter… L’arrêt des suppressions de postes, la titularisation de tous les précaires et l’embauche de 80 000 enseignants sont des mots d’ordre d’action immédiats qui peuvent déclencher une mobilisation. Aujourd’hui, avec les réformes dans le primaire (mise en place des EPEP, nouveaux programmes), dans le secondaire (réforme des lycées), à l’Université (masterisation), un mot d’ordre unifiant est le retrait des réformes Darcos, qui permet à tous de se retrouver. Enfin, le mot d’ordre d’augmentation des salaires est important dans la lutte (sans être un préalable), avant tout parce qu’il correspond à une réalité (les enseignants ont perdu près de 10 % de leur pouvoir d’achat depuis 2000), mais aussi parce que ce mot d’ordre est unifiant avec l’ensemble des salariés et permet de dresser des passerelles vers un mouvement interprofessionnel. Ces mots d’ordre devraient être la base de la plate-forme d’action pour la mobilisation venir. Ils seront sans doute à compléter.

Un second aspect de la lutte de 2007-2008 est le manque d’autoorganisation. Cet aspect est vital pour une mobilisation sur le long terme : pour qu’une mobilisation s’ancre durablement, il est nécessaire d’avoir des cadres de discussions et d’actions à tous les niveaux (établissement, ville, département, région…). C’est ce qui permet de discuter et d’informer le plus grand nombre et d’organiser les différents aspects de la mobilisation.

L’année dernière, par endroits, des assemblées générales (AG) de ville ou de région se sont mises en place. Il faut reconnaître l’utilité de ces AG, qui ont permis d’organiser une partie de la lutte et par endroits, d’influencer les décisions des bureaucraties syndicales. Le principal défaut de ces AG était lié à la faiblesse de l’autoorganisation. Cela ne se résout pas uniquement par le fait d’imposer des mandats d’AG d’établissement ou de ville, mais aussi en démontrant au quotidien l’utilité de ces AG par rapport aux cadres traditionnels d’organisation que sont les syndicats et leur direction(1). Il est indispensable, dans les luttes à venir, de construire ces structures et de les développer : une de nos tâches sera d’arriver à coordonner les AG au niveau national, comme cela a été fait par les étudiants, pendant la mobilisation contre le CPE.

 Généraliser la grève : tous ensemble contre le gouvernement !

Un troisième élément réside dans la construction d’une mobilisation conjointe des enseignants et des jeunes. Cela ne veut certainement pas dire AG commune, car la conséquence serait d’inféoder les décisions des jeunes aux décisions de leurs profs. Il sera indispensable de construire des structures d’auto-organisation distinctes et de se coordonner (par le biais de rencontre de délégations, par exemple). Au-delà de l’éducation nationale, il faudra mettre en place un mouvement interprofessionnel, aller à la rencontre des salariés et profiter des revendications communes (sur les salaires, notamment).

Enfin, il est indispensable qu’un tel mouvement conteste le gouvernement et les choix budgétaires qui ont été faits. Donner 15 milliards d’euros par an aux riches par le biais du paquet fiscal, renflouer à hauteur de 360 milliards d’euros les banques touchées par la crise et dans le même temps réduire le budget de l’éducation nationale, supprimer des postes et ne pas augmenter les salaires à la hauteur des besoins, voilà autant de choix politiques plus que contestables ! Qui doit décider du budget de l’éducation ? Le gouvernement, retranché dans ses a priori ou bien celles et ceux qui la font et qui l’utilisent ? Leurs choix ne sont pas les nôtres, on ne doit plus les laisser faire !

 Divergences avec les directions syndicales

Le bilan de l’année dernière n’est pas brillant pour les directions syndicales. Si elles ont bien posé une dizaine de journées de grève, il n’a jamais été tenté de partir en grève reconductible, seul moyen à même de faire plier le gouvernement. Au contraire, les « je t’aime, moi non plus » entre le SNES et le SNUipp (et parfois la CGT éduc’action) ont empêché toute unification du mouvement. Les directions ne défendent que leur intérêt propre et refusent d’affronter le gouvernement. D’autant plus cette année, marquée par les élections professionnelles et prud’homales (les 2 et 3 décembre 2008), où ces syndicats sont capables de déployer un arsenal de mobilisation important (passer dans chaque établissement, contacter la plupart des syndiqués et au-delà). On a le sentiment d’un gâchis militant : tout cela pourrait être investi pour la grève…

Cependant, nous ne devons pas rejeter en bloc ni les journées d’actions, ni les syndicats majoritaires. Le secteur éducation nationale a la chance d’avoir ces journées de 24 heures, même éparses, pour construire la lutte. Ce n’est sans doute pas étranger au fait que ce secteur se soit autant mobilisé ces dernières années. Mais là encore, l’existence de cadres d’auto-organisation peut permettre d’infléchir la politique des directions syndicales. À l’image de l’année dernière où après la mobilisation du 18 mars, la FSU ne proposait comme perspective que le 18 mai. Les dates intermédiaires (en avril et début mai) ont été arrachées par les équipes combatives et les AG et notamment celle d’Île-de-France.

C’est dans l’optique de renverser la politique des directions actuelles que nous devons militer dans nos syndicats. Nous ne devons pas bouder les places dans les directions, pour y défendre pleinement notre politique et pour profiter de ce cadre d’information et d’échange. Il faut coordonner les équipes syndicales revendicatives. Proposer des dates de mobilisation de plus en plus rapprochées qui permettent de construire pas à pas la grève générale. Voilà les tâches qui nous attendent dans les semaines et les mois à venir.


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