Actualités de la révolution

Pas de révolution socialiste sans parti révolutionnaire

Antoine Larrache & Pedro Cine

vendredi 14 décembre 2007 par Pedro Cine , Antoine Larrache

« La théorie Léniniste de l’organisation est une théorie de la révolution socialiste, écrivait Mandel. Personne n’a encore défait la première sans s’attaquer aussi à la seconde » Alain Tondeur . Cela tient à la particularité de la révolution prolétarienne, à la nécessité de construire une stratégie d’ensemble. La difficulté pour nous est double : quelle est l’actualité d’une telle formule dans une période qui n’est pas révolutionnaire ?

Comment la discuter alors que tous les courants révolutionnaires significatifs se posent le problème de la construction de partis larges, qui ne conservent pas tous les acquis théoriques et pratiques du marxisme révolutionnaire (de la LCR avec le « nouveau parti anticapitaliste pour la transformation révolutionnaire de la société » à Lutte ouvrière avec son « vrai parti communiste », en passant par les expériences britanniques ou ailleurs) ?

La période actuelle est clairement une période où la révolution n’est pas à l’ordre du jour, du moins dans les pays les plus avancés économiquement. Les organisations politiques restent faibles, les conflits sociaux ne se règlent pas dans le sang, les travailleurs peuvent encore survivre avec ce qu’on leur donne. On n’est pas dans le schéma de Lénine dans lequel « ceux d’en haut ne peuvent plus diriger, ceux dans bas ne veulent plus être dirigés et ceux du milieu basculent ».

Pour autant, nous ne sommes pas dans une situation de totale stabilité et d’apathie totale de la lutte des classes et du mouvement ouvrier. La LCR disait en 1991 : « L’échec annoncé du stalinisme rejaillit sur le projet socialiste lui-même et jette le doute sur sa viabilité. Il faudra accumuler de nouvelles expériences, réinventer un langage. C’est un long apprentissage ». Elle se préparait à longue traversée du désert, à « jeter les fondations nécessaires » pour « se mettre à rebâtir ». Les expériences dont elle parle sont arrivées beaucoup plus vite que prévu : dès 1991, la jeunesse se mobilisait contre Jospin et la gauche de gouvernement. Puis vient la succession des mobilisations de l’hiver 1995, des chômeurs chaque hiver, des mouvements lycéens de 98 et 99, des mouvements altermondialistes et contre la guerre, le printemps 2003, le mouvement lycéen, les banlieues et la constitution en 2005, et le mouvement de grève qui semble démarrer actuellement.

 Quatre caractéristiques de la période

La première est que, dès 1995, avant même le mouvement de grève, la question de la représentation politique des travailleurs est posée avec le faible score (prévisible) du Parti communiste et le bon score de Lutte ouvrière . Le parti traditionnel de la classe ouvrière est en chute libre, sans que le PS puisse prétendre le remplacer sur ce terrain, tandis que l’écho de l’extrême gauche progresse chez les travailleurs. On ne cessera alors de dire que les travailleurs sont « orphelins » d’une représentation politique tout en ne trouvant pas les voies pour la construire.

La deuxième caractéristique est que, depuis 1991, les confrontations sont de plus en plus fréquentes et de plus fortes. On ne peut aujourd’hui discuter d’une victoire contre un projet décisif du gouvernement sans discuter de mobilisation interprofessionnelle. Le recul du gouvernement sur le CPE en particulier ne peut s’expliquer sans le soutien massif des travailleurs au mouvement. Ces confrontations de plus en plus puissantes entraînent une série d’expérience, une reconstruction de la conscience de classe, mais aussi une radicalisation de la bourgeoisie (Sarkozy n’est pas Chirac) et de ses moyens d’action (répression policière, mise en place de réseaux anti-grèves). La troisième caractéristique est que les défaites (sur les retraites en 2003, sur la Sécurité sociale en 2004 et, dans un autre style, la victoire large de Sarkozy et de la droite aux élections) n’empêchent pas le développement de la conscience, des expériences de lutte, n’arrêtent pas les mobilisations. On ne se situe pas dans une succession de confrontations qui aboutit à la victoire d’un camp (comme en Angleterre avec la grève défaite des mineurs), mais dans le cadre d’une crise sociale et politique qui s’approfondit et s’exacerbe avec chaque lutte. Aucun camp ne recule, ils s’affrontent de manière toujours plus dure.

Cet élément, bien visible en France, entraîne la quatrième caractéristique : la question du pouvoir est posée de plus en plus. On le voit en Amérique du Sud, au Vénézuela, en Argentine, au Brésil, en Bolivie. Mais, y compris en France, l’état du Parti socialiste, l’écho des révolutionnaires, la rapidité avec laquelle les dirigeants voient leur popularité monter et descendre (Villepin, Royal puis, qui sait, Sarkozy ?) démontrent une instabilité sur la question du pouvoir.

Ce sont ces caractéristiques, les confrontations qui s’accélèrent, la restructuration des camps sociaux fondamentaux, la mise à l’ordre du jour de la question du pouvoir qui démontrent de manière visible « l’actualité de la révolution ».

 Détours et sauts

Cette accélération de l’histoire ne règle pas tout. On pourrait en conclure qu’il suffit de construire le parti de Lénine et de Trotsky, pour être capables de répondre aux enjeux de la période et aller vers la prise du pouvoir. Le problème est plus complexe parce que le mouvement ouvrier a subi des reculs considérables. Nous ne sommes plus dans une situation où la crise du mouvement ouvrier « se résume à la crise de sa direction révolutionnaire ». Il s’agit de construire une direction révolutionnaire, mais aussi, plus largement, de reconstruire largement le mouvement ouvrier. Cette reconstruction ne s’opère pas à partir de rien : le mouvement ouvrier organisé existe toujours, même s’il est particulièrement intégré aux affaires de la bourgeoisie et affaibli. Les éléments à reprendre en charge sont de divers ordres : il s’agit de tirer les expériences politiques du passé, en particulier en ce qui concerne le rapport aux institutions, la nécessité d’une indépendance vis-à-vis d’elle, et les acquis des expériences révolutionnaires. Il s’agit de considérer que les militants qui font partie du mouvement ouvrier tel qu’il est aujourd’hui ne sont pas perdus pour la révolution mais qu’on peut en gagner un certain nombre à nos idées. De plus, leurs illusions et erreurs reflètent la conscience de larges franges de la classe ouvrière, auxquelles nous devons nous adresser. Enfin, il s’agit d’avoir une politique de front unique qui permette d’utiliser le rapport de forces que sont capables de construire ces courants au profit de l’ensemble de la classe.

Cependant, l’état, y compris idéologique, du mouvement ouvrier et la faiblesse des expériences politiques internationales dans les années 80 et le début des années 90 obligent à reconstruire en partie. Qu’on le veuille ou non, les débats entre réformistes et révolutionnaires, la nature de la société socialiste (sans parler du communisme), ne font plus partie du bagage culturel de la grande masse des travailleurs. Quant aux débats entre révolutionnaires, ils n’ont aucune réalité au-delà d’un cercle extrêmement restreint. Les débats stratégiques sont d’une grande pauvreté et, si Daniel Bensaïd salue le « retour de la question stratégique », force est de constater que ce débat n’irrigue pas encore les organisations révolutionnaires et encore moins les masses. De nouvelles expériences seront sans doute nécessaire pour que les questions stratégiques soient tranchées à nouveau pour les larges masses.

Des détours sont donc sans doute nécessaire pour construire le parti capable de diriger la révolution, des détours sur le contenu stratégique, des détours sur la tactique, sur le programme. Dès Trotski et la fondation de la IVe Internationale, cette préoccupation existait, pour ne pas construire une Internationale trotskiste.

Mais, si le parti devra sans doute faire des détours, la direction révolutionnaire, c’est-à-dire les militants plongés dans les batailles sur la question du parti, ne feront pas ces détours : constater que les masses et des militants doivent refaire une série d’expériences pour acquérir une compréhension pratique du clivage entre réforme et révolution, c’est aussi constater que le rôle des militants pour qui cette compréhension théorique existe doivent aider à passer les étapes à la vitesse la plus rapide possible. D’autant que de la part des militants qui sont prêts à s’engager avec les révolutionnaires, il n’y a pas une volonté de repartir en arrière, de reconstruire « un vrai parti communiste » ou un refus des idées révolutionnaires. Il y a au contraire la volonté de militer avec les révolutionnaires, parce que des militants constatent que, depuis des années, ce sont ceux-ci qui indiquent la bonne route, même s’ils n’ont pas immédiatement les outils pour s’approprier et construire cette orientation. Ce qui constituerait un véritable saut pour les révolutionnaires et pour le mouvement ouvrier, c’est que s’adosse aux noyaux révolutionnaires des milliers de travailleurs prêts à avancer, à faire les expériences, à réfléchir, avec les révolutionnaires et sous leur direction politique.

 L’actualité des spécificités de la révolution prolétarienne

Pour Alain Tondeur, « la révolution prolétarienne a quatre traits spécifiques qui la distinguent de toutes les autres révolutions de l’Histoire […] « - révolution accomplie par la classe la plus inférieure de la société qui a une puissance économique potentielle énorme mais aucun pouvoir économique ; « - première révolution de l’histoire qui ne vise ni au rétablissement d’un ordre ancien ni à libérer le développement d’un ordre nouveau déjà dominant sur le plan économique mais qui doit réaliser un processus totalement nouveau à la fois sur le plan économique et sur le plan politique « - révolution qui ne marque pas la fin mais seulement le début du bouleversement de la société par la classe ouvrière ; « - révolution par nature internationale, qui ne s’achèvera que par l’édification universelle d’une société sans classes et sans États. » Et conclue de ces éléments la nécessité d’un parti révolutionnaire. Le bilan du siècle ne peut que nous conforter dans cette idée que des difficultés importantes doivent être dépassées pour réussir et qu’il est nécessaire d’avoir un parti qui se fixe comme tâche d’y contribuer. Le Chili, le Nicaragua, l’Argentine, le Brésil, l’Italie (…) nous ont démontré que face à ces obstacles, il faut un parti solide qui tienne, qui soit capable de faire des propositions, de les mettre en œuvre en toutes circonstances.

Le parti que nous voulons est donc :

1. Un parti qui soit implanté massivement dans la classe ouvrière et la jeunesse, parce que ce sont respectivement les classes et couches sociales qui font l’histoire, qui l’influencent le plus dans le bon sens.

2. Un parti démocratique et le plus centralisé possible. Un parti démocratique, avec des membres qui se voient, discutent pour acquérir une indépendance de penser vis-à-vis du système. Un parti le plus centralisé possible parce que, sans idéaliser le mythe stalinien du parti bolchevique ultra discipliné, un parti efficace connaît forcément une certaine discipline politique et militante.

3. Un parti internationaliste. L’échange d’expérience et de visions entre les militants et les organisations sont fondamentales pour contribuer à construire et défendre une stratégie commune dans différents pays.

4. Un parti qui actualise le programme communiste. La stratégie révolutionnaire n’est pas un dogme et il ne suffit pas de prendre les livres de Lénine et Trotski pour diriger une révolution. Lénine disait : « Il ne suffit pas d’être révolutionnaire, il faut savoir trouver à chaque moment, dans la chaîne, l’anneau dont on doit se saisir de toutes ses forces pour retenir la chaîne entière et passer à l’anneau suivant. Et l’ordre de succession des anneaux, leurs rattachements, leurs formes, leurs différences sont autrement complexes dans la chaîne des événements que dans celle que forgent les forgerons. » Le parti dont nous avons besoin dans la période doit apprendre à organiser cette bataille, à reforger une stratégie révolutionnaire et à la faire partager par le plus de militants et de sympathisants possible.

 Saisir les occasions qui existent depuis 95

La construction d’un nouveau parti ne peut se faire qu’avec la préoccupation constante de réduire la distance entre les militants actuels et ceux qui ne font pas le saut. Une idée qui revient régulièrement est d’adapter l’organisation et ses rythmes militants à ceux qui ne veulent pas militer (moins de réunions voire organisation d’adhérents, moins d’activité, moins de bases politiques). Cette solution est au mieux artificielle, au pire une adaptation à un système d’organisation inefficace et antidémocratique.

Le travail qui est nécessaire est au contraire de proposer à des centaines de milliers de gens de s’organiser pour militer, pour en gagner plusieurs milliers à cette perspective. L’ampleur de la campagne peut donner confiance dans la possibilité de se battre, elle peut rendre crédible le projet à des groupes de militants déjà existants dans le syndicalisme par exemple, et qui ne trouvaient pas de courant pour s’organiser efficacement.

Pour que cela fonctionne, l’enjeu est d’organiser le plus de réunions publiques et le plus de comités pour le nouveau parti possible, qui organisent une campagne militante associant des milliers de nouvelles personnes. On peut imaginer des appels de militants de boîtes, de syndicalistes, de villes pour constituer le nouveau parti. La campagne des municipales devrait permettre, puisqu’elle oblige à aller chercher des dizaines de personnes par ville pour constituer des listes, de faire un saut en terme d’implantation géographique. Il n’y a évidemment aucun partenaire politique qui soit d’accord pour construire un nouveau parti avec la LCR. LO vient de rejeter cette perspective explicitement à son congrès. Pour autant, il est clairement possible d’interpeller tous les courants de gauche sur la construction d’un nouveau parti : sur la séparation stricte vis-à-vis du PS, sur les relations aux institutions, sur la nécessité de rompre avec la société capitaliste, etc. En invitant les organisations et les militants dans les débats sur le nouveau parti, LO, comme des courants du PC, comme toutes les petites organisations d’extrême gauche, seront obligés de se poser concrètement leur relation au nouveau parti. En espérant que le plus possible bascule, sous la pression des militants ou du milieu qui les entoure.

Enfin, il est capital que la construction d’un nouveau parti soit lié aux mobilisations : c’est dans l’analyse des défaites comme des victoires que les travailleurs font des expériences. S’organiser, syndicalement comme politiquement, c’est transformer ces expériences politiques dans le réel, le construit et le durable, et théoriser ces expériences pour les réutiliser plus tard. Le révolutionnaires doivent donc agir vite, réagir à la situation au quotidien, « saisir les occasions pour construire sur la durée »…


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