Actualités de la révolution
1995-2007

Douze ans de lutte

Armelle Pertuis & Antoine Larrache

vendredi 14 décembre 2007 par Antoine Larrache , Armelle Pertus

Nous avons pour habitude de qualifier la situation politique de contradictoire : une offensive de la bourgeoisie, des résistances qui se développent. Mais nous nous trouvons face à une difficulté pour préciser certains problèmes : la conscience des travailleurs est-elle en régression ou se développe-t-elle ? La bourgeoisie est-elle à l’offensive ou rencontre-t-elle des difficultés ? Le rapport de forces entre les classes s’améliore-t-il pour les travailleurs ?

On doit résoudre cette contradiction en acceptant que la situation et les rapports de forces entre les classes sont constitués de plusieurs grandes dynamiques contradictoires et qui ont leur propre logique. Depuis plus de dix ans, il est indéniable que nous assistons à une phase de remontée des luttes, à une reconstruction de la conscience dans certains secteurs, sur la base d’expériences. Mais cette montée se produit dans un contexte de recul du mouvement ouvrier et de dégradation du rapport de forces.

 La bourgeoisie maintient sa domination par une offensive généralisée

L’économie mondiale fonctionne au ralenti, les taux de croissance sont faibles. Le chômage de masse est une donnée structurelle, les salaires sont particulièrement bas. La bourgeoisie parvient à maintenir des taux de profits importants par le biais de nombreuses initiatives politiques et économiques. Les guerres sont un moyen récurrent de relancer la concurrence, d’ouvrir de nouveaux marchés : en Yougoslavie, en Irak, en Afghanistan, en Côte-d’Ivoire… Les réformes libérales sont un moyen d’augmenter les marges, et sont coordonnées dans le monde entier : réformes des retraites, réformes de l’éducation, augmentation du temps de travail.

D’autre part, la conscience de classe s’est affaiblie : de nombreux grands centres industriels ont été détruits en Europe occidentale, les régions à forte tradition ouvrière sont ravagées par le chômage. Les évolutions du mode de production ont été utilisées pour affaiblir la conscience de classe : diviser, limiter la taille des lieux de travail, développer les filiales et la sous-traitance… Ces éléments sont combinés avec des problèmes idéologiques. La chute de l’URSS, la paralysie des partis communistes qui s’en est suivie (et d’une partie de l’extrême gauche), l’abandon des références communiste, lutte de classe et révolutionnaires par les organisations du mouvement ouvrier ont obscurci les perspectives politiques des travailleurs. On peut ajouter à ces éléments des défaites de la classe ouvrière : défaite des mineurs en Angleterre, accumulation de guerres dans les années 90, nombreuses réformes libérales imposées sans combat.

Le recul idéologique est aussi lié à l’absence de projet de société alternatif. La chute de l’URSS a constitué un choc. Les idéologues bourgeois se sont engouffrés dans la brèche sans rencontrer de résistance, puisque personne n’était capable de défendre un projet communiste non stalinien à une échelle de masse. Cette absence de projet politique alternatif est désarmante pour le mouvement ouvrier, il réduit les capacités d’homogénéisation autour d’un objectif commun dépassant les désaccords tactiques, influençant même les secteurs non militants. Le mouvement altermondialiste a contribué à relancer la contestation du système. Du mouvement des Zapatistes au contre-sommet de Gênes en passant par Seattle et Porto Alegre, ces rencontres ont mis au centre des débats les ravages du système capitaliste au Nord comme au Sud, bien au-delà des rangs militants (syndicaux, politiques, associatifs). Néanmoins, à l’intérieur du mouvement altermondialiste continuent à exister les clivages traditionnels du mouvement ouvrier : sur le contenu (« un autre monde est possible », mais lequel et comment le construire ?), et sur la forme de mobilisation (mobilisation limitée aux jeunes et aux permanents syndicaux ou mobilisations de masse ; mobilisation plan-plan ou actions en direction des lieux de pouvoir, de « la zone rouge »). Ainsi, le mouvement altermondialiste a buté sur des obstacles impossibles à franchir pour lui. La question du pouvoir n’a pas été résolue, les directions réformistes ont été intégrées à une vitesse extraordinaire. Après Gênes, les contre-sommets ont perdu leur aspect de confrontation, les Forums sociaux ont perdu leur massivité et leur régularité. Pourtant, la présence massive d’altermondialistes à Rostock cette année, bien que la mobilisation eut été plus que faible, montre une nouvelle fois les potentialités de contestation de ces échéances. Alors que la guerre en Irak a mobilisé une partie du mouvement altermondialiste sur la question de l’anti-impérialisme, Rostock marque de nouveau la nécessité pour les révolutionnaires de construire ces échéances, de tenter de peser dans les débats, européens ou mondiaux.

Les directions réformistes, face à ces difficultés et à l’accélération des conflits de classe (au niveau national comme international), ont fait le choix de ne pas organiser la confrontation mais de s’intégrer au système. La direction du Parti socialiste français démontre, en s’intégrant au FMI et à l’OMC, son intégration au système bourgeois mondial. En Palestine, la direction traditionnelle (le Fatah), poursuit son intégration à la politique d’Israël et du Quartet. En Amérique du Sud, la gauche institutionnelle applique les plans du FMI, de la Banque mondiale. Les directions syndicales accompagnent les réformes libérales. Directions réformistes et bourgeoisies s’accordent sur la nécessité de travailler ensemble pour maintenir leur situation, dans une situation économique et sociale difficile : le maintien des taux de profits, la paix sociale, le maintien des positions institutionnelles des organisations du mouvement ouvrier sont des éléments complémentaires.

Tous ces éléments sont des données structurelles de la période. La crise économique, le maintien des taux de profits par une offensive bourgeoise permanente, la conscience de classe faible, l’intégration des directions réformistes sont des éléments incontournables. Les éléments idéologiques et politiques ont été permis par l’offensive libérale des années 80, dont une des étapes a été la destruction de l’URSS. Mais notre erreur a probablement été d’avoir surestimé ce poids, en particulier sous le choc de la chute de l’URSS, d’avoir sous-estimé les capacités de régénération du mouvement ouvrier. En effet, l’offensive libérale et le vide politique consécutif de la chute de l’URSS ont produit des résistances et un renouveau politique et idéologique qui, malgré des formes embryonnaires ou dégénérées, sont des points d’appui fondamentaux.

 Les éléments de résistance ouvrière et populaire

Dans tous les continents, il existe des crises et des mobilisations de masse. En Amérique du Sud et en Europe, ce constat est clair. En Amérique du Nord, le conflit sur la guerre, la possibilité de défaite en Irak sont des éléments considérables de déstabilisation du pouvoir. En Afrique, les guerres, liées aux appétits des puissances impérialistes, réduisent les capacités politiques, qui sont pourtant réelles, comme le montrent le forum social de Bamako et la grève au Nigeria(1). Au Moyen-Orient, les explosions sont quotidiennes. En Asie, la guerre aux Philippines, le conflit en Birmanie montrent que d’importants conflits de classes existent. Toutes ces crises constituent, malgré les défaites, des expériences qui forgent la conscience des masses.

Dans les pays capitalistes avancés, les mobilisations sociales sont régulières depuis 95. Il a fallu quelques années à l’Europe pour digérer la chute de l’URSS puis l’offensive libérale s’est accélérée, avec diverses réformes concernant les acquis fondamentaux des salariés. La protection sociale, les qualifications (les réformes de l’éducation…), le temps de travail, le droit de grève, les retraites, le droit du travail sont attaqués et, par cette offensive, la bourgeoisie a déclenché des réactions considérables. En France, les travailleurs se sont retrouvés aux avant-postes avec la réaction au plan Juppé en 1995 et les retraites en 2003, les mobilisations des jeunes en 98, 99, 2003, 2005, 2006, etc. En Allemagne, en Italie et dans l’Etat espagnol, des mobilisations similaires bien que moins régulières ont eu lieu, notamment concernant le droit du travail. Il existe par ailleurs des mobilisations à l’échelle européenne, qui contribuent à donner confiance aux travailleurs et à leur donner une conscience d’intérêts communs et de la possibilité de se battre. Renault Vilvoorde, Airbus, le « non » à la Constitution européenne sont des expériences partielles mais réelles. Les mobilisations altermondialistes, même si elles sont restées principalement cantonnées aux jeunes de milieux petits-bourgeois et aux permanents syndicaux, ont permis de constituer des réseaux et de donner des expériences communes à des secteurs militants. Elles ont aussi permis de donner des perspectives politiques à des militants qui en recherchaient, ce qui constitue une étape dans la construction d’une alternative de société. Cela s’est construit par des batailles politiques dans ce mouvement, au moment des débats dans les FSE et FSM, aux mobilisations contre les G8, les contre-sommets (black bloc, blocages et manifestations de masse, villages de débats…).

Les mobilisations contre les guerres et les occupations n’ont pas connu de victoire nette. Mais elles ont tout de même obtenu deux succès. La première est d’avoir réussi à mettre en difficulté les impérialistes en Irak (l’État espagnol a du se retirer, l’Italie, la Grande-Bretagne et les États-Unis sont en difficulté). Cela a indéniablement empêché les États-Unis d’intervenir dans d’autres pays. Dans certains pays impérialistes, cela a permis de relancer des mobilisations nationales. C’est le cas en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Suisse. Des manifestations comme le 15 février 2003, avec 15 millions de manifestants dans le monde, ont marqué des nombreux pays et de nombreux travailleurs.

En Amérique du Sud, la bataille pour l’indépendance nationale (vis-à-vis des États-Unis et du FMI) prend un visage particulier. Étant donnée la violence des conflits de classes, le poids des dictatures, cette lutte s’est rapidement posé la question du pouvoir. On a pu voir en quelques années les débats stratégiques reprendre un aspect pratique et des résolutions diverses. La situation au Venezuela, en Bolivie, en Argentine, au Mexique(2) pose le problème du pouvoir, bien que sans le résoudre pour l’instant. L’auto-organisation, la destruction de l’État bourgeois sont manifestement des références fondamentales, et nous pouvons populariser ces expériences pour développer le débat dans le monde entier.

 Ruptures au sein des mouvements ouvrier et nationaux

On se retrouve donc avec deux processus contradictoires. Le premier processus consiste en une offensive bourgeoise, une déstructuration de la conscience et une intégration accrue des directions réformistes. Le deuxième consiste en une accumulation d’expériences, une reconstruction de repères de classes et idéologiques. Ce sont les points de rencontre de ces deux processus, lorsque leur caractère contradictoire déstabilise une situation, qui conduisent aux principales ruptures dans la situation.

Face à l’offensive de la bourgeoisie, la conscience de classe n’est pas suffisamment forte pour dépasser l’intégration des directions réformistes et le poids des défaites. L’intervention autonome des travailleurs est rare, en particulier de manière massive et durable. L’avortement de la grève en Allemagne à cause d’un jugement d’illégalité(3), la défaite sans combat sur l’assurance maladie en France montrent cette difficulté à se entrer en mouvement.

Pour autant, il est possible de dépasser ces difficultés. Le mouvement sur le CPE a existé parce que le gouvernement Villepin a sous-estimé la possibilité de mobilisation de la jeunesse et des travailleurs. De plus, dans ce mouvement, les directions réformistes ont été partiellement débordées : même si elles ont gardé la main en dernière instance, les révolutionnaires (JCR et Fraction de LO en particulier) étaient à la direction dans le processus d’auto-organisation chez les jeunes. Les grèves de Citroën Aulnay, avec le rôle que LO y a tenu, sont un autre exemple de la place des révolutionnaires. Dans divers pays, les directions traditionnelles sont mises à mal. En Palestine, le Fatah voit sa domination remise en cause par le Hamas.

On constate que, lorsque les directions syndicales sont débordées, ces débordements peuvent s’opérer au profit de courants non ouvriers (Hamas, Hezbollah…) qui captent la révolte populaire, ou de révolutionnaires (mouvement sur le CPE dans la jeunesse, manifestation contre la guerre en Italie…) si ceux-ci sont capable de se proposer comme direction alternative. La jeunesse reflète de façon particulière la situation actuelle. Elle subit moins la tendance à la déstructuration du mouvement ouvrier et le poids des défaites. Elle est au contraire plus sensible à la remontée des luttes, à une accumulation d’expériences, et est plus en mesure d’assumer les confrontations que l’ensemble du monde du travail. En France, en Italie, dans l’État espagnol, en Grande-Bretagne, en Amérique du Sud, elle est à l’avant-garde des mobilisations.

Enfin, au niveau idéologique, l’extrême gauche connaît, à l’échelle mondiale, un renouveau de son écho. Il y a bien sûr le cas de la France, mais aussi de la Grande-Bretagne, de l’Italie, du Venezuela, du Brésil… Elle semble prendre la place perdue par les staliniens, elle est reconnue comme l’aile la plus radicale du mouvement ouvrier, tout en gagnant une crédibilité supérieure aux staliniens parce qu’elle apparaît plus clairement comme différente des directions traditionnelles qui collaborent le plus clairement avec la bourgeoisie.

 12 ans de luttes en France

La situation en France illustre les contradictions de la situation mondiale. Dix ans de luttes ont permis aux travailleurs (et aux jeunes) d’accumuler une série d’expériences, dans un contexte de recul du rapport de forces, et avec une extrême gauche qui gagne une place importante.

La France est un des quelques pays du monde où des mobilisations ont lieu de manière régulière. Ces luttes constituent une accumulation d’expériences en particulier sur le terrain de l’auto-organisation. La mobilisation des infirmières, avec la coordination nationale, en 1988, a été une première étape. Le mouvement de l’Hiver 1995 a constitué une deuxième expérience : pendant celui-ci, puisqu’il a duré plus d’un mois, des expériences d’auto-organisation se sont développées au niveau local. En 2003, la coordination des enseignants et les coordinations interprofessionnelles ont permis à des milliers de travailleurs de s’impliquer dans la mobilisation et de débattre. Ces cadres ont d’ailleurs été réutilisés contre la réforme de l’assurance maladie et en 2006 pour se lier avec la jeunesse.

Les mouvements de la jeunesse sont caractéristiques de cette accumulation d’expériences. Ainsi, en 1995, le mouvement étudiant a fait l’expérience du lien avec les salariés. En 1998 et 1999, les mouvements lycéens ont tenté de constituer des coordinations, mais qui ont été largement supplantées par la FIDL, qui a gardé un contrôle total sur la direction du mouvement. En 2003, le mouvement étudiant a expérimenté la constitution d’une coordination et le blocage des universités, bien que cela ne soit qu’embryonnaire et sous contrôle de la direction de l’Unef. En 2005, le mouvement lycéen a expérimenté un blocage plus généralisé (autour de 850 lycées bloqués pendant une journée) et une coordination sur une longue durée (faible étant donnée la nature du milieu et le caractère très minoritaire du mouvement). En 2006, avec le mouvement contre le CPE, bien que les mouvements de 2003 et 2005 aient été défaits, ces expériences ont donné une coordination qui a duré environ deux mois, qui a su s’adresser aux jeunes et aux travailleurs, interpeller les directions syndicales, coordination dans laquelle les directions réformistes (Unef, MJS, PS, SOS-Racisme…) n’ont représenté qu’une partie des courants (les révolutionnaires étant plutôt en position de direction).

Le mouvement contre la guerre, même s’il a été très minoritaire, a permis, notamment aux révolutionnaires, avec « Agir contre la guerre », d’apprendre à prendre des initiatives et à se considérer comme une direction potentielle pour les luttes.

Chez les salariés, les expériences sont plus difficiles, car le poids des défaites est plus lourd. Mais les mouvements de 1995 et 2003 ont constitué tout de même des phases importantes, d’autant qu’elles ont été ponctuées par des mobilisations partielles, locales ou très minoritaires : le mouvement des chômeurs, la mobilisation contre Allègre, la mobilisation contre les licenciements à partir de LU-Danone, la mobilisation contre la réforme de l’assurance maladie, les grèves de Citroën Aulnay, etc. Ces mobilisations ont permis des passages de relais entre les anciennes générations et des jeunes qui ont connu leurs premiers combats dans l’entreprise. Ce passage de relais, ce travail entre des vieux expérimentés et des jeunes combatifs, est particulièrement bien raconté dans la brochure de LO sur la grève de Citroën Aulnay.

Les expériences politiques ou d’organisation d’une grève n’ont probablement été partagées que par une minorité de travailleurs. Mais, ce qui semble s’être plus développé, c’est l’identité ouvrière et la conscience qu’il existe des camps sociaux. Ce sentiment a été développé par les grèves, les luttes de masses et les relais de ces mobilisations par l’extrême gauche, qui émerge électoralement dans la même période. Les figures d’Arlette Laguiller et d’Olivier Besancenot, leur vocation à représenter des travailleurs, et leur succès avec ce profil, n’y sont pas totalement étrangers.

Chez les salariés, la domination des réformistes reste nette. Dans toutes les mobilisations citées, à part dans une mobilisation locale comme la grève de Citroën Aulnay, ce sont eux qui ont gardé la direction du mouvement, au déclenchement comme à la fin. La direction de la CGT, en collant plus à l’état d’esprit de secteurs militants que la CFDT, malgré ses difficultés, est le courant décisif dans toutes les mobilisations des travailleurs. Et la politique des directions réformistes est clairement de freiner autant que possible dans les mobilisations et de s’intégrer au jeu institutionnel. Le pire exemple est celui de l’assurance maladie, avec le « diagnostique partagé », ou de 2003 avec le refus d’une accélération du rythme et de la généralisation de la grève. Contre le CPE, elles n’ont fait aucun effort pour convaincre les salariés de se mettre en grève. Il ne s’agit pas de croire qu’elles peuvent, en claquant des doigts, mettre le pays en grève, mais de constater qu’elles ne font rien pour mettre en branle les travailleurs. Face à cette orientation, il n’existe pas d’alternative réelle, de courant, implanté en particulier dans la CGT, qui puisse contester la direction. Mais, il existe, localement, dans certains syndicats, des militants combatifs qui profitent des expériences et de la place laissée vacante par les staliniens pour constituer des équipes plus combatives. De plus, on peut espérer que les modifications des rapports de force qui existent dans la jeunesse, ainsi que les expériences chez les salariés, anticipent des modifications du rapport de forces entre réformistes et révolutionnaires dans les entreprises.

 Modifications de la place des révolutionnaires en France

Si les réformistes restent hégémoniques dans le syndicalisme, la situation s’est modifiée au niveau politique. En effet, le PS comme le PCF ont perdu leur capacité d’encadrement des travailleurs. Le PS l’a perdue par son intégration à l’appareil d’Etat et aux élites bourgeoises, par sa politique et son discours de plus en plus droitiers et, surtout, par sa volonté consciente de réduire ses liens avec le mouvement ouvrier (adhésion annuelle à 20 euros, abandon du travail d’entreprise, faibles liens avec les syndicats, rapprochements avec Bayrou…). Le PCF a perdu sa domination par son suivisme vis-à-vis du PS et, là encore, par sa volonté de se détacher de son assise ouvrière, comme en attestent ses listes électorales « citoyennes », « populaires », ses liens avec divers courants petits-bourgeois.

Lutte ouvrière d’abord, puis la LCR, ont su profiter de ce glissement à droite des directions réformistes pour se proposer comme représentantes des travailleurs. C’est la clarté de leur discours lutte de classe, combatif et intransigeant qui a fait leur succès. Elles ont su rentrer en écho avec la montée d’une conscience de classe, la favorisant et s’appuyant dessus. Ce sont les représentantes organiques d’une conscience de classe radicale, combative, partiellement anticapitaliste ou révolutionnaire. Leur division est un handicap considérable puisqu’il est évident qu’une organisation unifiée de cinq ou six mille militants aurait un écho sans mesure à celle de deux organisation de deux à trois mille militants. Une organisation unifiée aurait d’ailleurs probablement tôt-fait de dépasser les dix mille militants, grâce à une capacité politique et militante plus développée. Sans intervention coordonnée dans les élections, dans l’intervention syndicale, dans les luttes, pour se construire dans de nouveaux lieux, l’efficacité est largement réduite. De plus, pour des milliers de travailleurs, comment l’extrême gauche, divisée, restant faible, serait-elle plus crédible qu’un PCF, historiquement représentant unique de la classe ouvrière ? Si LO et la LCR ne surmontent pas leur division, ce ne sera peut-être pas fatal, mais cela retardera à tous les coups de plusieurs années la possibilité de construction d’un parti révolutionnaire sérieusement implanté dans la classe ouvrière.

Dans les pays où l’extrême gauche n’est pas aussi forte qu’en France, la reconstruction de la conscience se concrétise par des formes politiques intermédiaires, qui reflètent la confusion et les contradictions de la situation. Le Linkspartei en Allemagne, l’Alliance rouge verte au Danemark, le PT brésilien ou le PRC italien correspondent à une étape de la reconstruction de la conscience, à laquelle se conjugue des éléments du passé. Dans des pays comme la France ou l’Angleterre, l’extrême gauche a suffisamment d’écho pour ne pas avoir à s’embarrasser de ce type d’étapes.

Dans le contexte des transformations dans la conscience de classe, dans les rapports de forces, il semble que l’enjeu pour les révolutionnaires se déroule à quatre niveaux :

1) La construction d’oppositions syndicales qui puisse représenter des directions alternatives crédibles pour le mouvement ouvrier, en particulier au sein de la CGT, de la CFDT et de la FSU. Celles-ci se fixerait comme objectif de diriger des grèves de masse dans la prochaine période, y compris des grèves ouvrières. La remise au cause du droit de grève, le temps de travail semblent être les prochains tests et expériences.

2) Une capacité d’action supérieure dans la jeunesse, avec la construction d’une organisation de jeunesse révolutionnaire massive, capable de rivaliser avec les directions de l’Unef et du MJS. Etant donnés les rapports de forces plus favorables dans la jeunesse, c’est crédible à condition de développer une organisation de jeunesse autonome, indépendante organisationnellement, car c’est le seul moyen de capter ce rapport de force plus favorable.

3) La popularisation à une échelle de masse d’un projet de société alternatif au capitalisme, de la nécessité d’une rupture révolutionnaire avec le système, en réponse à la question électorale et à la question du pouvoir. En effet, l’accumulation d’expérience par les travailleurs est réelle mais, il n’y a pas d’action continue, durable, sans projet d’ensemble popularisé à une échelle de masse.

4) Développer une conscience internationaliste de masse. Les expériences politiques en Amérique du Sud sont un point d’appui, mais une conscience de masse ne pourra se développer massivement en France que si de larges secteurs de la population et des travailleurs se mobilisent contre l’impérialisme français.

La bataille pour un nouveau parti en France doit être, avant tout, la bataille pour répondre à ces enjeux et dénouer la contradiction de la situation : qui ira plus le vite ? Les éléments de déstructuration du mouvement ouvrier ou ceux de reconstruction ?


Accueil du site | Contact | Plan du site | | Statistiques | visites : 37757

Suivre la vie du site fr  Suivre la vie du site Revue  Suivre la vie du site Numéro 1 - déc. 2007  Suivre la vie du site Luttes de masse en France   ?

Site réalisé avec SPIP 2.0.2 + AHUNTSIC

Creative Commons License